La cure de jouvence Vauquelin durera jusqu’à l’été de l’année suivante. L’équipage couchera à quai, au dépôt. Retournant à bord la journée pour participer aux travaux avec le personnel de l’arsenal. Ce sera pour beaucoup des travaux de décapage et de peinture. Le navire restera aussi de nombreuses semaines en cale sèche.
Au plus fort du carénage, les journées sont essentiellement consacrées à piquer la peinture de la coque et du pont pour que les ouvriers de l'arsenal puissent remettre le navire sous une couche de peinture neuve. Tâche assourdissante et peu exaltante s’il en est. Aussi pendant plusieurs semaines le Vauquelin est un vaste tas de ferraille encombré de tuyaux électriques, pneumatiques et autres engins de chantier.
L'équipage est en mode réduit. Aussi ceux qui sont restés passent, eux en mode multifonction. C'est ainsi qu'un jour je me suis trouvé être de quart au PC sécurité. Dit aussi PC Sécu. Poste et fonction occupé en temps normal et comme il se doit par un électricien dit aussi "Sécuritar"
Donc, ce jour de service, au lieu de me trouver au Bureau des mouvements, dit aussi BM ou à la coupée, me voilà dans l'antre des Sécuritars. Guère plus vaste que le BM, mais farci de voyants et indicateurs en tous genres.
Dans ce contexte, il me revient une anecdote. Une nuit, lors d'un quart de quatre à huit,
enfermé depuis plus d'une heure et, ne pouvant m'absenter, il me prend l'idée d’appeler un
collègue qui lui fait son quart à la coupée. Je prends le combiné, compose le numéro de la coupée.
J'entends la sonnerie tinter... tinter... Le collègue s'est-il endormi ? Ce serait un peu désordre.
Enfin, ça décroche.
Au dégagé, avant même l'appel des permissionnaires, les OMS (Officiers Mariniers Supérieurs) quittant le bord sont déjà en civil et descendent la coupée. Du roof Malafon d'où je me trouve, j'aperçois le Bidel descendre à terre ! Il part en permission. Aujourd'hui, c'est vendredi. Je souffle. Je n'aurai pas besoin de faire ce qu'il m'a ordonné. Et à son retour, il ne m'a pas causé d'ennuis quant à ce qu'il m'avait ordonné. L'a-t-il oublié ? Ou a-t-il pensé que la leçon avait porté ? Je ne le saurai pas. Il n'en reste pas moins que les jours qui ont suivi ce week-end je garderai profil bas.
Suite à cela, force est de constater que nous n'avions pas le plus mauvais bidel de la flotte. Loin s'en faut.
Au PC ASM, les écrans sont depuis longtemps éteints. Parfois, les consoles sont ouvertes par des gens de la DCAN pour y ajouter ou changer des cartes électroniques. Et aussi pour y ajouter de nouveaux boitiers d'affichage ou de calculs. C'est à cette époque qu'a été installé un boitier qui permettait de visualiser la portée sonar sur un écran monochrome. Avant cela, il fallait le faire à la main avec des crayons gras sur une plaque de plexiglass.
Sur des ponts flottants, le long de la coque.
Image de Francis Pestelle
Le soir, en dehors des jours de service, ce sera les sorties à Toulon. Plus précisément à Chicago.
Je ne m’étendrai pas sur ces virées. Elles ont été fréquentes, régulières et souvent hautes en couleur. "Depuis les années 50 quel matelot ou quartier-Maître n'a pas, un jour où l'autre, été traîner dans ce quartier situé à quelques mètres de la porte principale de l'arsenal entre les rues Victor Micholet et Pierre Semard
L'époque du Petit Chicago. Cette aquarelle de
Raymond Houillon
Combien de fois, pour rejoindre mon bord, ne suis-point passé à la porte principale dans un état limite du présentable. Depuis moult années, Chicago avait acquis une amorce de folklore, voire de coutumes. Avec ses emblématiques personnages. Et, à cette époque, la personne la plus emblématique du lieu était sans conteste Miquette. Miquette était une dame qui exerçait dans le quartier depuis bien des années.
Des années plus tard, d'anciens matafs émus et reconnaissants ont obtenu l'autorisation des autorités municipales d'apposer pas loin du bar où elle pratiquait, une plaque commémorative à sa mémoire.
Au début de l’été 1975, le navire a terminé son lifting. Les nombreuses modernisations intégrées, il ne reste qu’à réembarquer tout le nécessaire à la navigation, les munitions et l’équipage. Ce dernier dûment complété par de nouveaux embarqués. Puis retour au quai des flottilles. Quelques semaines de mises au point à quai seront encore nécessaires avant de voir de nouveau les cheminées fumer. A bord, c’est l’odeur de peintures neuve qui domine. Tout ou presque a été repeint. Les revêtements de sol changés dégagent un tenace parfum de colle. Et de fait, on redémarre avec un bâtiment neuf.
Le grand carénage se termine. Le Vauquelin va pouvoir reprendre la mer.
En effet, pour un navire de la classe du Vauquelin, en service à la mer, le pacha est de facto
Capitaine de Frégate
Le commandant par intérim lors du carénage est
Capitaine de corvette
Suite à quoi, un changement de commandement s'impose.
Et en pareil cas, une revue de l'équipage s'avère nécessaire. Aussi, dès la fin du poste de propreté, par haut-parleur, ordre nous est donné de capeler la tenue d'inspection. cette dernière aura lieu en fin de matinée où nous sera présenté le nouveau pacha.
Les revues d'inspection sont en général plus rigoureuses que celles consacrées aux éscales. Le pacha quittant se doit de présenter à son successeur un équipage impeccable. L'adjudant de compagnie descend au poste pour nous rappeler les enjeux. Aussi, méticuleusement, chacun s'emploie à s'ajuster au mieux.
De nouveau, les haut-parleurs nous enjoignent de nous rendre roof Malafon. Alignés en lieu et place le capitaine de compagnie effectue la pré-inspection. Pas de remarques de sa part, donc tout va bien.Le bidel a donné de la voix, le clairon ferme le ban. Le silence se fait. Les pachas arrivent et se mettent en place. L'amiral fait les présentations. Le pacha quittant accompagné de son successeur inspectent les rangs. Ils arrivent devant la compagnie ASM. Passent devant nous. Chacun a droit à un coup d'œil rapide mais précis. Ils passent devant moi, coup d'œil attendu, et avant de passer devant mon voisin, j'entends le Capitaine de corvette maugréer "On n'est pas dans la Kriegsmarine !" puis continue comme si de rien n'était. Passé un moment de perplexité, il me revient de la façon dont je porte mon bachi En effet, le bachi classique ressemble à ceci. Généralement porté par le matelot nouvellement embarqué. Ou gardé en réserve pour les grandes occasions. Celle-ci en l'occurence. Mais pour nombre de plus anciens, dans la vie courante, c'est plutôt à cela. Á quoi tiennent les détails.
Les cheminées vont se remettre à fumer début août. Le Vauquelin amarré Darse Missiessy va reprendre la mer. Depuis une semaine, les travaux sont officiellement terminés. Les ouvriers de l'arsenal ont depuis longtemps quitté le bord, l'équipage a été reconstitué le mois dernier (En juin) Avec, entre autre un nouveau contingent. Un mois à quai afin de s'adapter tranquillement à la vie à bord. Ce qui n'a pas été le cas pour d'autres. Qui une fois embarqués ont dû prendre le rythme à la volée. Un soir en rentrant à bord après une sortie à Chicago; Une des dernières au demeurant.
Affichée sur un tableau d'affichage dans la coursive, la feuille de service pour le mois à venir. Il y est écrit que le navire appareillera aux aurores pour une première sortie d'essais. Ai-je été ému à la lecture de cette annonce ? Probablement pas. D'un part parce que il était notoire depuis quelques semaine déjà que la campagne d'essais était imminente. Et d'autre part qu'il n'était pas question d'ériger une stele commémorant l’évènement. Cela étant j'ai quand même dû me poser la question quant à savoir si je n'avais pas trop perdu le pied en mer. Il sera bien temps de s'en inquiéter au moment opportun. Aussi sans état d'âme particulier, je vais rejoindre ma bannette.
Ce matin, à l'appel, le bidel a donc lu ce que j'ai appris le veille. Dont acte. Aussi, la matinée est consacrée aux dernières vérifications. Je passe tout mon temps au PC ASM à terminer de ranger ce qui n'a pas vocation à trainer. Comme les classeurs de maintenance et les appareils de mesures. Dehors, il fait très chaud et la fraicheur due à la clim me va bien. En fin de matinée, je vais faire un tour sur le pont milieu. En levant le nez, les antennes radar tournent déjà, les machines sont lancées. Outre la fumée dégagée par les cheminées, les vibrations du pont sont là pour signifier l'appareillage imminent.
Cela faisait bien longtemps que cet ordre n'avait résonné à bord. Je ne suis pas de quart à l'appareillage, aussi, naturellement, c'est vers la plage arrière que je rejoins mon poste. Le soleil est au zénith et tape fort, le pont est brulant. Je le sens au travers des semelles de mes chaussures. Il n'y pas un brin de vent. Les aussières sont ramenées sur le pont. Les hélices commencent à mouliner. L'écume à proximité de la coque en fait foi. Il y a deux remorqueurs pour sortir le navire de la darse. Un à l'avant, que je ne vois pas; Et un à l'arrière. Ces derniers nous quittent en entrant dans la rade. Le vent relatif rafraichi l'atmosphère.
Les passes commencent à s'éloigner... et le roulis commence à se manifester. Jusque-là, tout va bien. Il faut dire qu'en absence totale de vent, l'eau est à peine ridée.
"Rompre du poste de manœuvre. Le premier tiers étant de quart"Voilà, c'est reparti ! La côte est désormais comme un fil brun à l'horizon. Le navire va bon train sur une mer plate. Les seuls bouillonnements visibles sont ceux laissés par le sillage du Vauquelin. La plage arrière est maintenant déserte. Une plage arrière recouverte d'une peinture neuve. Pas un point de rouille. Le résultat des longues journées à piquer la rouille et la vieille peinture.
Le retour à Brest n’est pas pour tout de suite. De longs réglages à la mer amèneront d’interminables exercices et ronds dans l’eau en Méditerranée avec le Duguay Trouin et le Du Chayla. Ça changera du golfe de Gascogne.
L’automne est bien avancé, mais la météo reste estivale. Le ciel est clair, pas de vent, une mer d’huile, ou presque. La reprise des périodes à la mer est pour le moins soft. Le Vauquelin roule à peine. Les manœuvres avec les navires du groupe se font sereinement.
Le poste de ravitaillement avec le Duguay Trouin est presque un exercice de style tant les conditions météo sont clémentes. De la plage arrière, où mon tiers est à poste, je contemple le Duguay Trouin se rapprocher. Il pousse un peu la machine pour se mettre au niveau du Vauquelin. Des volutes de fumée brune s’échappent par instants de ses cheminées. Puis ralenti doucement pour rester à couple.

Un coup de sifflet retenti, « Attention au lance amarre » annoncent les haut-parleurs. La détonation du fusil lance amarre est juste perceptible. Les deux navires sont à bonne hauteur. D’où je me trouve ; la plage arrière, je ne vois plus que celle du Duguay et les collègues d’en face, comme nous, au poste d’admiration.
La manœuvre n’aura pas duré une demi-heure. N’ayant rien à faire, je n’ai rien vu, je me suis laissé bercer par le vent relatif. Le Duguay reprend de la vitesse et s’éloigne. Sur bâbord, c’est au tour du Du Chayla de se rapprocher. Et là, même motif, même punition : Navigation à couple, sifflet, lance amarres … et même attente sur la plage arrière.
Le 23 octobre, le Vauquelin mouille au large de Cavalaire pour la nuit. Le 23 au matin, appareillage pour Calvi Sur la route, les exercices d'entrainement vont s'enchainer.
L’objectif était de faire une manœuvre avec la légion. Pour ce faire, le troisième tiers appelé aussi « Corps Déb. » qui signifie corps de débarquement est envoyé à terre jouer aux fantassins. Je n’en suis pas et le regrette. Je suis du deuxième tiers.
Le Vauquelin mouille à Calvi. Le troisième tiers y est descendu Calvi. Le troisième tier y est descendu à terre pour une manœuvre avec la Légion ...
C’est à cette époque que le navire à fait escale à Gênes Ville au passé certes prestigieux mais au présent très banal. Je n’en garde aucun souvenir.
Gênes. L'escale qui ne fut pas inoubliable. Le Vauquelin à couple avec le Du Chayla, lui même à couple avec le Dugay Trouin à quai.
Le Vauquelin est à gauche, le Du Chayla, au milieu et le Dugay Trouin à quai.
La Sainte Barbe, la fête des canonniers.
Avant le retour à Brest.
Photos de Bruno MAZELIER
Le Vauquelin réintègre la 8ème Division d’Escorteurs d’Escadre début décembre 1975 mais ne regagnera le Finistère que le 19 décembre. Les adieux à Toulon seront sobres, l’appareillage se fera dans les règles. Cette fois encore, je ne suis pas de quart, donc au poste de manœuvre. C’est bien ainsi, je vais voir une dernière fois défiler la côte Varoise. C’est un après-midi relativement doux pour la saison. Mais le blouson de mer n’est pas superflu. La presqu’ile de Saint Mandrier est à peine dépassée, que le dégagé du poste de manœuvre est envoyé. La plage arrière est maintenant déserte. Je reste et regarde la côte s’éloigner. Ces quatorze mois à Toulon sont passés très vite, je me sens très bien à bord et ne regrette pas d’être resté à quai plusieurs mois. En juillet, je passe Quartier Maître deux sardines sur les manches. Je ne sais plus si j’ai fêté cet événement, c’était aussi le mois de mes dix-neuf ans et vingt mois d’embarquement.
Distribué avec la feuille de service, ce mot du Pacha.
Document fourni par Serge Bourhis
Le passage à Gibraltar se fera encore de nuit. Je suis de quart et profite de l’occasion pour faire un tour à la passerelle. Même s’il n’est pas nécessaire de jouer de la gaffe entre les continents, le temps est clair et il est possible d’en apercevoir les lumières à l’horizon. Il faudra encore deux jours de navigation pour apercevoir les côtes Bretonnes. Sous un ciel gris et un crachin tenace, le navire entre dans la rade. Le Vauquelin restera à quai pendant la période des fêtes. Aussi les demandes de permissions vont aller bon train. J’attendrai la semaine après Noël pour partir en permission. Aussi, je passerai le réveillon à bord. J’ai le souvenir que les repas de fêtes étaient mémorables. Mis à part les inévitables plateaux, le repas en valait la peine. Ne dit-on pas que les cuisiniers de la marine sont les meilleurs des trois armes ? Ce ne doit pas être faux. Je n’ai jamais eu à m’en plaindre. Deux jours avant Noël, la cafétéria est décorée de guirlandes. Ce jour-là, je suis de service, et à part les gens dans mon cas, il ne reste pas grand monde à bord. Il est dix-huit heures, mon quart à la coupée est terminé, je vais faire un tour à la caf voir la télé. C’est un poste en noir et blanc, je me souviens. Il était posé en hauteur, sur une étagère, au fond de la cafétéria. Ce poste fonctionnait que lorsque le navire était à quai. A la mer, les contraintes de service ou de réception en interdisaient l’usage. Je m’installe à une table et essaie distraitement de m’intéresser à l’émission en cours. Autour des tables, ça discute, ça fume, ça commente les sujets qui défilent à la télé. En clair, on attend l’ouverture de la rampe.
La cafétéria. Haut lieu de glissades par mauvaise mer.
Cette photo a été prise à bord du navire musée "Maillé Brézé" à quai à nantes.
Une image d'ambiance, et d'époque.
La cafétéria des "choufs" de l'escorteur d'escadre Casabianca.
(1970 - photo René Lepezron)
Source: http://www.netmarine.net/bat/ee/casabian
Ce n’est pas encore le menu de réveillon, c’est pour demain. Après ce repas, je vais faire un tour plage arrière. Il fait déjà nuit, le froid vif. Je m’accoude aux filières le long du bord. Tout est calme. Sur le quai d’à côté, sur un autre escorteur, je devine les gens qui comme moi « glandent » et prennent le frais. Plus loin, sur la jetée, un navire y est amarré. Au vu de la silhouette, ce doit être une corvette, mais n’en suis pas très sûr. Aucune importance. Je reste encore un moment, puis le froid me ramène à la réalité. Je rentre. En passant la porte étanche, les néons blafards m’éblouissent un moment. La coursive est déserte, je retourne vers la caf voir s’il y a un film à la télévision. Je ne resterai pas trop tard, je suis de quart de quatre à huit. Le réveillon sera bon enfant, le vin coulera un peu plus que d’habitude, la rampe restera ouverte un peu plus tard.
Noël est passé, c’est mon tour, je pars en permission une semaine. C’est la première fois que je quitte le bord aussi longtemps depuis mon embarquement.